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Liberté à Brême

Dans l’Allemagne conservatrice du XVIIIème siècle, Geesche, issue de la petite bourgeoisie, n’a aucune liberté. Brutalisée par son mari, sans cesse dévalorisée, sa vie semble toute tracée à la place qui, en tant que femme, lui a été assignée dès sa naissance. Alors, quand la mort frappe étrangement ses oppresseurs, s’agit-il vraiment d’une «malédiction» ? Cédric Gourmelon met en scène cette pièce explosive et irrespectueuse de Fassbinder, qui bouscule les codes de la représentation et interroge les fondements de notre société et de sa morale. Qui est la victime ? Qui est le bourreau ?

Fassbinder a écrit Liberté à Brême en s’inspirant d’un fait divers. Au XVIIIème siècle, Geesche Gottfried semblait être victime d’une étrange «malédiction» : ses proches mouraient les uns après les autres. Elle est devenue une figure locale, on la surnommait «l’Ange de Brême», parce que, malgré toutes ces épreuves, elle trouvait toujours la force d’accompagner ces gens dans la mort, d’être à leur chevet, dévouée jusqu’à la fin. Quand on a découvert qu’elle les avait tous empoisonnés, il y a eu une telle haine contre elle qu’elle a été exécutée en place publique. Il reste, à Brême, à l’endroit de son exécution devant la cathédrale Saint-Pierre, un carré incrusté dans le sol, sur lequel les gens avaient coutume de cracher.

C’est le point de départ de Fassbinder. Mais ce qui l’intéresse n’est évidemment pas d’écrire une «pièce d’époque». Il semble interroger avec ironie ce que «liberté» veut dire, de tout temps.

Il écrit cette pièce explosive pour bousculer les codes d’une société d’apparence paisible mais qui porte en elle tous les germes du «fascisme ordinaire», dans ce qu’elle comporte d’interdiction, de hiérarchie, d’oppression, sous couvert de «moralité».

Qu’est-ce que la morale ? Ce qui est passionnant, c’est l’empathie qu’il suscite vis-à-vis du personnage de Geesche, qu’on trouve injustement traitée, niée, contrainte, et qui s’avère être une tueuse en série. 

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Mon projet c’est de faire avec cette pièce ce que je fais habituellement : donner à entendre l’écriture d’un écrivain que je considère essentiel.

En modifiant le moins possible l’œuvre, pour en montrer l’ossature les rouages, le style. C’est ce que nous faisons ici avec cette pièce de Fassbinder de façon littérale, non seulement en donnant à entendre l’intégralité du texte, mais aussi en respectant scrupuleusement chacune des didascalies (exceptée la toute dernière avant le noir final).

Fassbinder est un immense auteur, il connaît les conventions théâtrales, il en joue et cherche à les faire exploser. Il invite à un mode de jeu primitif, brutal, univoque mais dont il se dégage une grande puissance. Sans que nous ayons à choisir entre le tragique ou le comique. Une sorte de « désembourgeoisement » du jeu qui oblige à beaucoup de travail en répétition. Et demande au spectateur de recomposer dans sa tête la « vraie réalité » dont la représentation théâtrale n’est qu’un support.

Il s’amuse aussi à faire évoluer le style d’écriture à l’intérieur de la pièce, entre le tragique noir « brechtien » de la première scène et l’ironie nihiliste des dernières, en passant par le mélodrame, inspirée des films de Douglas Sirk pour la partie centrale (les scènes avec Gottfried).

Il nous faut tenter d’atteindre une forme non naturaliste, à la fois âpre, directe et métaphorique, qui caractérise toute cette partie de son œuvre au cinéma (celle des 15 premiers films) pendant laquelle est écrit Liberté à Brême.

Liberté à Brême est une attaque frontale contre la société conservatrice et patriarcale des années 70, ce qui m’a aussi donné envie de la monter c’est que quarante-cinq ans après son écriture, il est gênant que le propos de la pièce ne soit toujours pas dépassé. La volonté d’émancipation de Geesche, celle d’avoir le droit de s’exprimer complètement, la nature des obstacles moraux et religieux qu’elle rencontre, résonnent profondément, malgré les prises de consciences en cours dans nos sociétés.

Cédric Gourmelon.