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« Pour moi le théâtre est une forme de continuité de la littérature, c’est le prolongement de ma relation à un texte. Souvent le désir de monter un texte naît de cette sensation que j’aurais rêvé l’avoir écrit de cette façon là (si j’avais été écrivain, si j’en avais eu le talent).

Je me considère d’abord comme un lecteur, un bon lecteur, sensible à l’écriture, au style et aux potentialités d’un texte. La langue m’intéresse souvent plus que les mouvements de la narration. C’est elle que je cherche (sa singularité, sa justesse) dans mes lectures car c’est seulement quand je la reconnais que je me sens capable d’enthousiasmer une équipe d’acteurs. Je travaille avec les acteurs avec qui j’ai plaisir à être.

Pour moi un bon acteur est une personne qui « existe beaucoup ». Quelqu’un de curieux, amoureux, un peu en marge mais qui impose l’évidence de son être. J’aime aussi travailler avec les jeunes acteurs car ils me poussent vers une forme de radicalité. Je ne cherche pas le spectaculaire, je redoute l’ennui par-dessus tout. J’aime une certaine forme de dépouillement quand il est l’écrin de l’essentiel : la subtilité, la sensibilité, la puissance ou la férocité des hommes.

Ma passion pour la littérature est arrivée comme une révélation, alors que je lisais Notre Dame des fleurs de Jean Genet. Un auteur qui décide d’utiliser  » la langue des bourgeois » – en référence à Proust qu’il admirait – pour écrire des histoires de travelos, de mauvais garçons, de voyous… Ça a été une révélation. J’ai pleuré d’émotion, comme jusqu’alors ça ne m’était arrivé qu’au cinéma.

Et c’est avec Jean Genet que s’est manifesté le désir de mettre en scène. J’ai pu le faire dans le cadre de ma dernière année à l’école d’acteur et les encouragements de Didier Georges Gabilly et de Stanislas Nordey ont renforcé mon désir de m’engager dans cette voie.

Au théâtre ce qui m’anime, c’est le texte et l’acteur qui va le dire. Et ma question de metteur en scène est de savoir comment le donner à entendre.
La lumière joue un rôle essentiel pour moi, car elle ne donne pas seulement à voir, elle véhicule des émotions.

Dans Haute Surveillance une porte tout d’un coup s’ouvrait et la lumière qui en sortait transfigurait Yeux-Vert, le chef charismatique. Il était transfiguré par la poésie, le lyrisme, cette lumière était celle d’un au-delà qu’il avait atteint, celle d’un condamné à mort, et j’étais bouleversé par cet effet de lumière. Dans Hercule furieux ou La Princesse Blanche j’ai travaillé sur quelque chose de proche. Le franchissement d’une porte comme symbole du passage entre l’enfer et la terre. L’ouverture de cette porte et la lumière en contre jour que ce mouvement révèle, ça pourrait presque me suffire comme spectacle.

Si il y avait besoin d’autre chose pour que le théâtre ait lieu je me passionnerais pour cette autre chose. S’il fallait par exemple systématiquement sonoriser les acteurs, je me passionnerais pour le son. Mais mon émotion sans cesse renouvelée de l’acteur qui entre dans le faisceau de lumière pour dire son texte, ne nécessite rien d’autre.

« Mon théâtre » s’est nourri de toutes mes rencontres et collaborations, mais aussi de mes expériences marquantes de spectateur (Les pièces de Didier Georges Gabily, François Tanguy, Bob Wilson, Claude Régy, Jérôme Deschamps, Stanislas Nordey, Johann Le Guillerm, Wiliam Forsythe, Christian Rizzo, Joris Lacoste, et forcément bien d’autres…).

Il se définit avec le temps, en s’exerçant. Il demande un engagement profond.
Il parle des êtres. J’ai besoin de voir vraiment les acteurs sur scène, dans leur évidence d’être. Mon « obsession » réside dans le fait qu’ils soient vraiment là et qu’ils soient justes. Que leur relation d’intimité avec la langue et le texte soit la plus grande possible (c’est très dur et parfois cela demande un long travail). Dans ce cas là, ce n’est jamais ennuyeux.

Au théâtre tout est faux, on le sait, sauf le fait que les gens qui sont devant nous ont vécu une vraie vie, et qu’ils se sont laissés aller à une relation de grande intimité avec un texte, une langue. Et c’est sans doute là l’essentiel de mon travail. La relation au texte, au poème. Tous mes choix et mes projets sont liés aux qualités littéraires des textes, leur musicalité, leur force d’évocation, leur organicité…

Quand je monte des textes de Rilke, Pessoa, Genet, Beckett ou Sénèque, se sont d’abord des poèmes que j’ai à faire entendre. Je dirige mes acteurs toujours avec l’idée d’un grand respect du texte. Y compris quand je monte Feydeau, comme dernièrement, et que je cherche le rire. Car ce travail ne détermine pas un type de registre particulier ou un mode de diction ; à chaque fois il s’agit de placer l’œuvre de l’auteur au centre et de lire entre les lignes, de choisir le mode théâtral qui lui convient, et l’esthétique qui le servira le mieux pour pouvoir être reçu par les spectateurs.

De façon générale, ce qui m’intéresse au théâtre c’est la notion d’aventure.
J’aime les chercheurs, les pionniers, ceux qui tentent de réinventer même modestement le théâtre, en même temps qu’ils le pratiquent. J’utilise ce terme de réinventer, car il correspond à cette idée de re-questionner sa pratique, sans cesse. C’est ce qui pourrait définir en partie le travail de l’artiste.

J’ai aussi une attirance pour les écrivains de la scène, c’est à dire les artistes qui développent une poétique, une esthétique du plateau qui leur est propre et qui peuvent se situer à la lisière du théâtre, de la danse, de l’art plastique.
Je suis curieux de spectacles de toutes sortes, de tous les styles et registres, pourvu que je ressente l’intégrité d’une démarche. »

Ecrit suite à des entretiens de Cédric Gourmelon questionné par Dominique Chrétien et Nathalie Elain dont les propos ont été recuillis par celle-ci en octobre 2013.

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