J’ai entendu Avec le temps à la radio pour la première fois lorsque j’étais adolescent.
Je n’ai pas compris la chanson, mais la voix de Léo Ferré, sa tristesse, sa tendresse et son lyrisme, ne m’ont plus quitté. Jacques Blanc, directeur du Quartz à Brest, m’a proposé de travailler en 2005 sur la notion de « performance ». Cela signifiait pour moi qui suis metteur en scène : être seul et travailler en tant qu‘acteur sur des textes avec lesquels j’avais une relation intime et singulière.
J’ai choisi de « vociférer » plusieurs des longs textes de Ferré posés sur des pupitres qui m’encerclaient, devant le rideau de fer d’un grand plateau. A la fin, le rideau s’ouvrait, laissant apparaître un plateau vide et un pied de micro en son milieu. Je me dirigeais alors vers le micro et chantait a capella La mémoire et la mer. A partir de là est née l’idée du spectacle Words…Words…Words….
Tout l’enjeu se situe à la fois dans le fait de restituer les textes de Ferré sans plagier les intonations du chanteur mais sans non plus mettre trop de distance, formaliser, en faire des textes neutres. C’est une vraie tentative à chaque représentation. Je suis condamné à travailler « au présent » en fonction de ce que je ressens.
Lorsque nous avons construit le spectacle avec Nathalie Elain, qui est comédienne et m’accompagne depuis des années, nous avons fait en sorte de décaler tout ce qui pouvait faire penser à un hommage académique ou à un récital. Je dis les textes, ou je les « slame » mais sur une musique inventée. Si je joue du piano, je ne chante pas. Si je dis un texte que les gens connaissent, c’est sans la mélodie qui devrait l’accompagner, etc. Avec souvent la présence d’une chaise vide, ou d’un pied de micro entouré de vide… sans la volonté de combler ce vide, pour que la comparaison ne puisse avoir lieu. Les révoltes de Léo Ferré sont politiques et poétiques. Des images poétiques sont intriquées à des références concrètes visant par exemple la vie politiquo-sociale française des années soixante ou soixante-dix. Et à cela viennent également s’ajouter des images mystérieuses issues de sa propre mythologie intime. Ce sont leur complexité et leur sincérité qui font que ces textes traversent le temps. Words…words…words…, c’est à la fois le titre d’une chanson de Ferré présente dans le spectacle et une citation de Shakespeare (Hamlet, la scène dans la bibliothèque, acte II, scène 2). Et c’est là aussi une volonté de se décaler, un titre en anglais comme un clin d’œil à un Ferré affilié au registre de la « grande » chanson française. Ce titre reflète bien le spectacle : des mots, comme un flot, assénés, proférés, répétés. Un mot qui se répète face à l’infini…
Cédric Gourmelon
Propos recueillis par Agnès Santi pour le journal La Terrasse