Jean Genet est l’auteur qui a le plus fondé mon désir de théâtre. Quand je fréquente son écriture j’ai l’impression d’être au cœur de mon travail. Ce texte ciselé, clair, est un concentré de sa langue. Les conseils qui y sont prodigués par Genet s’appliquent à tous les champs artistiques. Ce n’est pas un traité de funambulisme mais un poème sur la grave et belle responsabilité de l’artiste. Un chant d’amour à l’acte de création.
Genet nous invite, comme souvent dans ses textes à une cérémonie, une célébration. Il tente d’appliquer à une discipline qui nous parait ancestrale, celle du funambulisme, la même haute exigence qu’il s’impose, lui, dans son travail d’écrivain et ce afin de la métamorphoser en un art majeur. Le funambule n’est pas là pour nous divertir, mais pour nous fasciner. De tous les artistes il est celui qui affronte le plus directement le danger, la mort. C’est par ce combat renouvelé chaque soir qu’il deviendra un maître de son art. L’art exige de la gravité et de la solennité. Pour briller de milles feux le soir, l’artiste de scène devra d’abord affronter la solitude, l’angoisse, la mort… ou encore tenter de se préserver de la banale médiocrité du quotidien, du luxe et du confort, en se faisant discret, quitte à s’avilir ou se déguiser. La journée, que tout son être ne soit tendu que vers cette fête sacrée qui se déroule chaque soir. Genet mêle dans ce texte des réflexions sur son travail d’écrivain et sur sa vie. C’est dans ce texte qu’apparaît la formule » On n’est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé « . Il y est le plus souvent inflexible, intransigeant mais toujours brûlant d’un profond amour pour le funambule et son fil. N’admettant de l’artiste qu’une volonté de perfection. Quitte à ce que celui-ci y laisse sa santé, son image ou sa vie. Par contre s’il survit…
Par ce texte il nous déclare plus généralement son amour pour cette fête, qui a lieu le soir, à l’approche de la nuit, » la plus grave, la dernière, quelque chose de très proche de nos funérailles « . Celle du théâtre ou du cirque : ce ventre de toile monstrueux remonté des époques diluviennes peuplé de magiciens, écuyères, jongleurs et autres bêtes féroces, dans lequel on se sent bien, à l’abri du monde.